Avery
&
William

La blessure toujours en cours de guérison, ce n’était pas une raison valable pour rester à ne rien faire. Et pourtant, je devais faire attention tout de même pour ne pas empirer la situation parce que ce serait vraiment intelligent surtout en une époque où on ne pouvait plus avoir un soin adéquat par manque de matériel. Nous avons la chance d’avoir un doc dans le camp, mais je refuse d’abuser de la situation. Et puis comme première rencontre avec son sauveur, j’ai connu mieux. Je lui ai mis un couteau sous la gorge en le menaçant de l’égorger comme un porc. Ce que j’aurais été tout à fait capable de faire pour ma propre survie. La facilité avec laquelle on peut tuer est parfaitement effrayante. Et vous savez ce qui est pire dans toute cette histoire ? C’est que je parviens à trouver mon sommeil sans difficulté. Est-ce que j’ai cela dans le sang comme mon père ? Probablement que cela se trouve enfoui dans mes gènes, je n’en sais trop rien. Mais dans la situation actuelle, je suppose que je dois le remercier de m’avoir fait hériter de ces pires défauts comme des bons. Tuer pour ma survie sans compter la force de tout surmonter. Avec ce que j’ai traversé par le passé, je pense qu’on peut dire que j’en manque absolument pas. Croiser deux fois la mort m’a permis de prendre conscience de certaines choses, même si j’avoue que ma seconde mort a été celle qui m’a le plus traumatisé. Il y a des moments où, quand je ferme les yeux, je revois mon Calvin se faire tabasser sous mon regard impuissant. La Nouvelle-Orléans fut mon paradis comme mon enfer. Je n’ai pas été épargné par la haine des hommes à cause de ma couleur de peau. Être comme moi était une erreur immense pour certains et c’est une maladie qui ronge les hommes de génération en génération parce que les mentalités refusent de changer pour beaucoup d’entre eux. C’est quelque chose qui ne devrait plus être perpétué. J’ai tellement perdu à ce moment-là. L’homme que j’aimais profondément et notre bébé. Tout est mort-né dans cette ruelle. Je n’ai jamais dit que ce même soir, Calvin m’avait demandé en mariage. Sans doute pour ne pas rendre l’instant plus horrible qu’il ne l’était.

Je frotte le sol avec plus de rage pour que cette cuisine soit propre tout en chantant ma chanson qui me radoucit toujours l’humeur. Nina Simone avait un pouvoir incommensurable sur moi et je m’en réjouis parce que je sens s’évanouir mes démons. La mélodie défile dans ma tête comme si celle-ci se jouait. C’est toujours avec ce titre que j’ai passé mes auditions dans les deux cabarets qui m’ont ouvert leur porte. La vie d’artiste, ce n’est pas simple surtout que le matin, je devais me lever pour aller à mon autre emploi. Cependant, je parvenais toujours à trouver le bon rythme pour ne pas m’endormir. De toute manière, opératrice dans un centre d’urgence, on se devait d’être constamment en alerte car tout pouvait arriver. Et j’en ai connu des urgences à l’autre bout du fil.  

Vous avez une voix magnifique Mademoiselle.

Je sursaute ne m’étant pas rendu compte que quelqu’un venait d’entrer. Entre mes pensées, mon travail et ma chanson, je ne faisais plus réellement attention à ce qu’il se passait autour. C’est un luxe que je pouvais à nouveau me permettre étant donné que la sécurité est une chose qu’on avait ici. Un luxe dont on osait à peine rêver lorsqu’on se trouve or de ce mini-paradis.

<< Merci. >> Fis-je simplement en le regardant alors qu’il prenait de quoi se faire à manger. Il était quelle heure en fait ? Il faut dire que j’ai tout récuré de fond en comble.

Vous avez faim ?

<< Quelle heure est-il ? >> Fis-je en me relevant doucement et bien que difficilement. Cette position ne m’a pas aidé à soulager mon pied. Mon regard se posant sur l’homme, je remarque que sa façon de m’observer est étrange. J’ai quelque chose sur le visage ou quoi ! J’arque un sourcil croisant les bras sur ma poitrine. << C’est quoi votre problème. Pourquoi vous me regardez comme ça. >> Ma voix n’était pas méchante, mais elle n’était pas des plus chaleureuses non plus.

Je vous ai déjà vu ! Je savais bien que ce visage ne m'était pas inconnu ! Vous êtes Miss Juillet ... N'est ce pas ?

Son sourire me déconcerte, mais le reste plus encore et je dois prendre le temps de réfléchir avant de comprendre. << Miss Juillet ? >> Enfin un peu plus que ça même. << Oh. >> Voilà ça y est ! J’ai saisi. << Amateur de photographie. >> Fis-je avec un léger sourire flottant sur mes lèvres. << C’était une autre vie. >> Poursuivais-je simplement. Être un modèle pour un photographe me permettait de mettre du beurre dans les épinards. J’ai cumulé trois boulots pour qu’on ne manque de rien. La pauvreté, j’ai tellement connu que je m’y refusais de sombrer. Aujourd’hui, je dois dire que cette mauvaise passe d’une vie horrible me permet de voir les choses de façon positive. On se considère comme riche quand on a quelque chose à manger, un toit sur la tête et un lit pour dormir. << Je crois que j’ai bien mérité une petite pause. >> Je me dirige en boitant vers le lévier pour me laver les mains, chantonnant toujours ma chanson.

Avery
&
William

La cuisine était devenue mon domaine temporaire. Les gros travaux étant encore hors de ma portée le temps que mon pied guérisse de cette mauvaise blessure qui me fait grincer des dents par moment. Surtout, le matin, quand je me levais après avoir mis mon pied en repos toute une nuit. Selon le doc, je devrais rester au repos le temps que tout cicatrise parfaitement, mais personne n’a le droit à ce luxe surtout en des moments si apocalyptiques. Il est dur de se tourner les pouces et puis ce n’est clairement pas mon genre de le faire. J’ai toujours eu ce besoin de m’occuper l’esprit parce que le malheureux a toujours cette foutue liberté de penser à des choses que je veux oublier. Que je tente désespérément d’enfouir en moi. Mais chaque dose de violence, d’amertume et douleur me font rappeler ce moment fatidique où j’ai perdu Calvin et notre bébé. La fureur des hommes peut être aussi horrible que celle des zombies si ce n’est bien plus. On a beau haïr ces monstres, mais ces derniers n’ont plus aucune conscience se laissant donc guider par leur instinct primitif. Les hommes, eux, peuvent encore faire la différence entre le bien et le mal.

Onze heure trente quatre exactement, mais j'avais faim.

Déjà ? Le temps s’est écoulé si rapidement. Je suis là depuis 8h30 et je n’ai pas décollé d’ici. J’avais besoin de travailler alors, je me suis dit que la cuisine en avait bien besoin. Une pièce commune où le repas était préparé. C’était tellement mieux quand tout est propre et reluisait. Le rustique des lieux m’ancrait encore davantage dans le lieu qui unissait tous les survivants. Cette ferme avait quelque chose d’agréable, mais le confort de ma vie d’avant me manque terriblement. Je suis une fille de la ville et je préfère lorsque tout bouge constamment. Sans doute, aurais-je opté pour une vie à la campagne pour mes vieux jours, mais j’étais à un point de ma vie où je voulais tenter à nouveau de donner une chance à un avenir plus radieux. Mais rien ne se produit comme on le souhaiterait réellement.

Le regard de cet étranger appuyé sur moi me donnait l’impression d’être un morceau délicat de viande dans un supermarché hors de prix. Mais la réponse qui en découla me calma comprenant alors son comportement vis-à-vis de moi. Ma vie de modèle photo date d’une vie où j’avais ce besoin de me révéler, mais aussi de glorifier la beauté des métisses et des femmes de couleur. Il semble que j’ai réussi en voyant celui qui me fait face.

Je suis garagiste et ... enfin c'est une sorte de normalité chez nous, on a toujours un calendrier de jolies filles au mur et .. Johnny il l'avait accroché , vous étiez sa préférés on a passé des années en juillet, il n'a jamais voulu qu'on tourne votre page.

J’esquisse un léger rire en imaginant la situation. C’est agréable de connaître ce genre de détail. D’être tellement apprécié par un homme, qui peut-être ne vit plus aujourd’hui, au point d’avoir passé des années sur ma page de photographie. << C’est agréable à entendre. >> Cela m’allège un peu le cœur et ça me le rend moins froid qu’à l’arrivée de cet étranger, mais je garde tout de même une distance entre lui et moi. J’ai vécu des mois à devoir me méfier de tout et de tout le monde que ce n’est pas une attitude que l’on stoppe comme ça.

Vous avez fait ça comment ?

Je baisse ma tête vers ma blessure et pousse un léger soupire. << Je me suis prise le pied dans un piège de braconnier. Même si le doc me dit de ne pas bouger, c’est pas possible. >> Je m’autorise à prendre place sur l’une des chaises puis croise mes jambes massant doucement la cheville au pied blessé. << Alors, je me contente du ménage. C’est déjà pas mal. >>

Vous êtes sur ? Vous ne voulez rien ?

L’odeur de son repas donne le résultat d’un ventre qui se plaint. Un gargouillement s’élève, je suis un peu gênée par la situation. << Désolée. >> Il faut avouer que je mange parfois peu ou juste assez pour ne pas avoir le ventre totalement vide. << Si ça ne vous dérange pas, je veux bien vous accompagner. Euh… Désolé, je suis arrivée y a pas longtemps alors j’ai pas tous les noms. Je suis Avery Rhodes et vous ? >> Je veux me lever, mais à peine je pose le pied au sol que je préfère me rasseoir en retenant un juron entre mes dents. C’est pas grave, je garde un point positif. C’est moins douloureux qu’il y a quelques jours. Soyons et restons positif !